La réassurance constitue une pierre angulaire du secteur de l’assurance. Elle offre un filet de sécurité aux assureurs primaires et joue un rôle essentiel dans la gestion mondiale des risques. En permettant aux assureurs de transférer une partie de leurs risques aux réassureurs, la réassurance contribue de manière significative à la stabilité et à la résilience financières, tout en stimulant le progrès et l’innovation au sein et au-delà du secteur de l’assurance.
La réassurance est communément appelée « l’assurance des compagnies d’assurance ». Plus précisément, il s’agit du transfert par un assureur direct (la « société cédante ») d’une partie des risques qu’il assume pour le compte de ses assurés à une autre compagnie d’assurance (le « réassureur »).
Contrairement à l’assurance directe, la réassurance ne traite pas avec les assurés individuels, mais opère au niveau des portefeuilles d’assurance. Cela nécessite une modélisation avancée et une compréhension approfondie du risque systémique.
La réassurance possède une histoire fascinante qui remonte à plusieurs siècles. Les premières formes connues de réassurance apparaissent au XIVᵉ siècle à Gênes, en Italie, où les assureurs maritimes commencèrent à partager leurs risques avec d’autres parties afin de se protéger contre les pertes catastrophiques en mer.
La réassurance moderne, en tant qu’industrie structurée et réglementée, a commencé à prendre forme au XIXᵉ siècle.
L’incendie qui ravagea la ville allemande de Hambourg en 1842 entraîna la création de la première société professionnelle de réassurance, la Kölnische Rückversicherungs-Gesellschaft, fondée en 1846 en Allemagne. L’ampleur considérable des dommages dépassait largement les ressources de l’assureur local, contribuant ainsi à établir l’idée que les risques liés aux portefeuilles d’assurance devaient être partagés entre plusieurs assureurs.
D’autres réassureurs professionnels virent ensuite le jour, notamment la Schweizerische Rückversicherungs-Gesellschaft (Swiss Re) en 1863 et la Münchener Rückversicherungs-Gesellschaft en 1880, qui comptent parmi les principaux réassureurs mondiaux d’aujourd’hui. Cela marqua un tournant majeur, car la réassurance évolua de simples accords informels vers un modèle d’affaires formalisé, reposant sur des contrats, des normes de souscription et une portée internationale.
Depuis lors, le secteur s’est développé pour devenir un réseau mondial de réassureurs, de courtiers et de fournisseurs de capitaux alternatifs (tels que les titres liés à l’assurance), jouant un rôle essentiel dans la réduction des écarts de protection et le renforcement de la résilience mondiale. Il contribue à stabiliser les marchés financiers, à favoriser le transfert des risques au-delà des frontières et, en définitive, à soutenir la croissance économique.
À la fin de l’année 2024, le capital mondial dédié à la réassurance s’élevait à 600 milliards USD.
Graphique 1 : Capital dédié à la réassurance (en milliards USD)
Sources : AM Best data and research, Guy Carpenter
Le Luxembourg a mis en place en 1984 un cadre juridique spécifique pour les sociétés de réassurance, posant ainsi les bases d’un environnement favorable à la création de sociétés de réassurance captives. Les captives, généralement détenues par de grands groupes, sont conçues pour réassurer les risques spécifiques auxquels les filiales de ces groupes sont exposées, répondant ainsi à leurs besoins d’auto-assurance.
En plus des réassureurs captifs, un certain nombre de réassureurs professionnels ont également choisi le Luxembourg comme base d’opérations.
Aujourd’hui, le secteur luxembourgeois de la réassurance compte près de 200 entités, reflétant son attractivité durable et la solidité de son cadre réglementaire.
La réassurance constitue un outil essentiel de gestion des risques pour les compagnies d’assurance.
En permettant aux assureurs de transférer une partie de leurs risques à un réassureur, elle réduit leur exposition nette, les protégeant des accumulations de sinistres et les aidant à absorber l’impact financier d’événements majeurs.
Ainsi, la réassurance libère de la capacité de souscription et permet aux assureurs directs d’accepter davantage de risques qu’ils ne pourraient le faire seuls.
Cette structure financière aide les assureurs à gérer des risques de grande ampleur et à stabiliser leur bilan après des sinistres importants, leur permettant ainsi de respecter leurs engagements envers les assurés sans compromettre leurs ressources financières.
Ce mécanisme de partage du risque est particulièrement crucial pour les risques de pointe, tels que les tremblements de terre ou les ouragans, susceptibles de générer jusqu’à 300 milliards USD de pertes assurées sur une seule année, selon le dernier rapport sigma de l’Institut Swiss Re sur les catastrophes naturelles.
La réassurance agit alors comme un amortisseur de chocs face à la volatilité des années à fortes pertes et couvrirait plus de la moitié des pertes mondiales dépassant la moyenne.
Avec un capital mondial de réassurance traditionnel estimé à environ 500 milliards USD et un ratio de solvabilité moyen de 250 % pour les principaux réassureurs, le marché resterait bien capitalisé, même après avoir absorbé sa part d’une perte globale de 300 milliards USD. En transférant leurs risques aux réassureurs, les assureurs primaires peuvent ainsi :
Ces avantages font de la réassurance un élément indispensable d’un marché de l’assurance résilient et capable de s’adapter à l’évolution constante des risques.
La réassurance est, par nature, une activité mondiale.
Elle repose sur la diversification géographique, les flux internationaux de capitaux, les contrats transfrontaliers et la coopération internationale, soutenus par des cadres réglementaires globaux.
Cette portée mondiale renforce la capacité du secteur à faire face à des risques systémiques de grande ampleur.
Les réassureurs diversifient activement leurs portefeuilles par régions et par types de risques afin de réduire leur exposition à des catastrophes locales.
Un réassureur peut par exemple couvrir à la fois les risques sismiques au Japon, les ouragans aux États-Unis et les inondations en Europe, équilibrant ainsi son portefeuille et minimisant l’impact d’un événement isolé.
Les contrats de réassurance s’étendent souvent sur plusieurs juridictions : un assureur brésilien peut céder un risque à un réassureur européen via un contrat régi par le droit anglais et libellé en dollars américains.
Cette complexité transfrontalière exige une expertise en droit international, en fiscalité et en conformité réglementaire.
La diversification géographique accroît également la capacité de souscription et permet aux réassureurs de répondre efficacement à des crises mondiales telles que les pandémies, les événements climatiques extrêmes ou les conflits géopolitiques.
La réassurance requiert d’importantes réserves de capitaux pour absorber les pertes majeures. Afin d’accéder à ces capitaux et de répartir efficacement les risques, les réassureurs opèrent sur les marchés internationaux. Les principaux pôles de réassurance comprennent Zurich, Londres, Munich et les Bermudes, qui facilitent les transactions mondiales et attirent les capitaux des investisseurs institutionnels.
L’essor des titres liés à l’assurance (Insurance-Linked Securities, ILS), tels que les obligations catastrophes, a permis à des investisseurs institutionnels – fonds de pension et fonds spéculatifs – d’entrer dans le domaine de la réassurance.
Ces instruments, échangés à l’échelle mondiale, reposent sur des modèles de risques avancés et sur l’analyse de données, renforçant encore la dimension internationale de la réassurance.
Le secteur évolue constamment, influencé par la dynamique des marchés et l’émergence de nouveaux risques. Voici quelques-unes des tendances récentes.
Un des principaux risques nécessitant une diversification mondiale est celui des catastrophes naturelles, car les économies locales ne peuvent souvent pas supporter seules le poids financier de telles pertes.
Depuis 2000, la diversification mondiale a permis de couvrir en moyenne plus de 60 % des événements majeurs. Par exemple, le séisme de 2010 au Chili a généré 6 milliards USD de pertes assurées dans un marché non-vie dont les primes annuelles totalisaient 3 milliards USD. De même, après la saison exceptionnelle des ouragans de 2005 aux États-Unis, 12 % des assureurs américains ont reçu des paiements de réassurance équivalents à 100 % de leurs fonds propres.
Graphique 2 : Paiements de sinistres par les réassureurs internationaux
Source: Swiss Re Institute, sigma 02/2025
Des événements récents, inondations à Dubaï, incendies en Californie, tempêtes violentes en Europe, illustrent la montée de la volatilité et l’interconnexion croissante des risques.
Au cours des cinq dernières années, les pertes assurées liées aux catastrophes naturelles ont dépassé 100 milliards USD chaque année.
Faire face à ces risques climatiques extrêmes nécessite une approche multipartite, dans laquelle les réassureurs jouent un rôle clé en sensibilisant, en exploitant la modélisation et l’analyse de données, et en proposant des mécanismes financiers adaptés.
Des produits innovants tels que l’assurance paramétrique, dont les indemnisations sont déclenchées par des événements prédéfinis plutôt que par des évaluations de sinistres, gagnent en popularité, car ils accélèrent la reprise et simplifient les procédures.
Grâce à leur expertise technique, les réassureurs contribuent également à rendre les risques de catastrophes naturelles plus mesurables et gérables, notamment via des partenariats technologiques favorisant le partage de données en temps réel.
Des partenariats public-privé voient également le jour, permettant aux réassureurs de collaborer avec les gouvernements pour analyser les données climatiques et renforcer la préparation.
L’environnement économique mondial demeure incertain, marqué par des pressions inflationnistes, économiques et sociales, influençant les tendances de sinistralité.
Les tensions géopolitiques et la volatilité des marchés financiers représentent également des risques pour les bilans des réassureurs, affectant à la fois la souscription et les performances d’investissement.
Ces facteurs complexifient la modélisation des risques et les décisions d’allocation du capital.
L’inflation impacte les coûts de sinistres, la suffisance des provisions et la tarification des risques futurs, tandis que l’instabilité géopolitique augmente les risques liés aux actifs, aux infrastructures et à la couverture contre la violence politique.
Les réassureurs doivent donc ajuster leurs portefeuilles, adapter leur appétit pour le risque et s’appuyer sur des données en temps réel pour anticiper les expositions émergentes.
La technologie transforme tous les aspects de la réassurance, de la souscription à la gestion des sinistres.
L’intelligence artificielle, l’analyse avancée des données et l’apprentissage automatique permettent désormais d’évaluer les risques avec une précision et une rapidité accrues.
Les outils sophistiqués de modélisation des catastrophes et les flux de données en temps réel éclairent les décisions de souscription, tandis que l’analyse prédictive aide à identifier les tendances émergentes avant qu’elles n’affectent les portefeuilles.
Dans la gestion des sinistres, les systèmes automatisés accélèrent le traitement et améliorent la précision, réduisant ainsi les coûts opérationnels et améliorant l’expérience client.
Les réassureurs qui adoptent ces technologies sont mieux armés pour faire face à la volatilité du marché, optimiser l’allocation du capital et s’adapter à l’évolution rapide des risques.
Le groupe Swiss Re est un leader mondial de la réassurance, de l’assurance et du transfert de risques liés à l’assurance, s’appuyant sur plus de 160 ans d’expertise et sur l’engagement de 14 000 collaborateurs dans le monde.
Le conseil d’Annick Felten aux jeunes professionnels
Annick Felten est Directrice générale de Swiss Re International SE et de Swiss Re Europe S.A., les entités européennes de réassurance et d’assurance commerciale du groupe Swiss Re, dont le siège européen est situé au Luxembourg.
Comme beaucoup d’autres, je n’ai pas choisi la réassurance intentionnellement, je l’ai découverte par hasard et j’y suis restée pour son attrait unique.
La réassurance est une industrie mondiale fondée sur les relations, qui allie innovation, analyse et réflexion stratégique.
Elle joue un rôle vital dans la gestion des risques complexes, qu’ils soient d’origine humaine ou naturelle, et constitue bien plus qu’un simple mécanisme financier : c’est un moteur de croissance, d’innovation, de résilience et de stabilité mondiale.
Si vous êtes curieux des tendances globales, aimez résoudre des problèmes analytiques et valorisez la collaboration, la réassurance offre une carrière dynamique et enrichissante.
Son envergure internationale permet de travailler avec des marchés et des cultures variés, dans des métiers allant de la science des données à la souscription, en passant par la modélisation des risques et la gestion de la clientèle.
De solides compétences en communication et en analyse, ainsi qu’un réel intérêt pour le fonctionnement du monde, sont des atouts clés.
Pour ceux qui recherchent une carrière porteuse de sens, intellectuellement stimulante et à fort impact réel, la réassurance pourrait bien être le trésor caché que vous ignoriez chercher.
Les informations présentées dans cet article ont un but exclusivement informatif. Elles ne sauraient être considérées comme un avis juridique, réglementaire ou financier, ni comme une description exhaustive des produits ou services mentionnés.