
Eric Evian, Directeur Général Délégué – CGPA Europe
Plus de 55% de l’assurance en Europe est distribuée par les intermédiaires d’assurances (Agents généraux, courtiers etc…).
Depuis la mise en œuvre de deux directives d‘harmonisation, les 800 000 intermédiaires d’assurance[1] européens doivent obligatoirement disposer d’une assurance de responsabilité civile professionnelle (RC Pro) couvrant leur activité[2].
Élément clé de leur « permis de travail », cette assurance protège les intermédiaires contre les conséquences financières de leurs fautes professionnelles, sécurise leurs clients et préserve la confiance dans toute la chaîne de distribution.
Le groupe CGPA est un assureur spécialisé uniquement dans cette branche d’activité.
Eric Evian dirige CGPA Europe, sa filiale en charge des marchés européens.
Après avoir, pendant une vingtaine d’années, occupé des postes de direction au sein de réassureurs et d’assureurs notamment en tant que General Counsel, il a rejoint le groupe CGPA en 2012 pour lancer son activité en Europe en créant CGPA Europe à Luxembourg. Il est également arbitre et médiateur indépendant auprès des compagnies, en France et à l’étranger.
Classée parmi les “lignes financières”, l’assurance RC Pro des intermédiaires (en anglais intermediaries’ Professional Indemnity ou Broker’s PI) est une branche d’assurance assez peu connue, pourtant essentielle au secteur.
En protégeant les preneurs d’assurance et en solvabilisant les distributeurs, elle contribue à la stabilité de l’écosystème de l’assurance.
En pratique, l’assurance RC Pro concerne essentiellement les courtiers d’assurance et les intermédiaires à titre accessoire, mais les agents exclusifs d’assurance (ou « agents généraux ») sont de plus en plus nombreux à s’assurer notamment en France, en Italie, en Espagne ou en Allemagne.
Selon le type d’assurance distribuée et la valeur assurée des biens ou activités concernées, les intermédiaires peuvent disposer de limites de garantie bien supérieures aux minima règlementaires[3], atteignant parfois 20 à 50 M€ pour les acteurs majeurs.
Une des particularités de cette branche réside dans la très grande variété de sinistres auquel un assureur RC pro peut être confronté.
Le scénario est souvent le même : l’assureur recommandé par l’intermédiaire considère devoir refuser la prise en charge d’un sinistre, le client s’estime lésé ou mal conseillé et se retourne contre l’intermédiaire. L’assureur RC Pro de l’intermédiaire prend alors le relais, dissèque le contrat d’assurance d’origine, examine les conditions du placement et analyse le sinistre sous-jacent pour déterminer si la responsabilité de l’intermédiaire est engagée.
Cette diversité, à la fois technique et sectorielle, fait tout le sel de cette branche : aucun dossier ne ressemble au précédent.
Cela peut conduire à intervenir dans tous les domaines de l’assurance, des plus simples, (habitation, auto) au plus complexes (assurances maritimes, assurance vie et investissement et même … assurances aériennes et spatiales).
L’assurance de responsabilité civile connaît plusieurs régimes permettant de déterminer le déclenchement de la garantie.
Dans la majeure partie des marchés européens et mondiaux, la garantie est mobilisée sur la base du principe dit de base réclamation (« claims-made »).
C’est la déclaration du sinistre qui va déclencher la garantie, indépendamment de la date de la faute présumée. C’est par conséquent le contrat d’assurance en vigueur au moment de la déclaration du sinistre qui va s’appliquer.
De rares marchés (principalement en Allemagne et en Autriche) utilisent la base dite du fait générateur ou Occurrence basis. Dans ce cas, la garantie est déclenchée par la date de survenance de l’erreur supposée, (ex. la faute professionnelle), indépendamment du moment où le dommage est constaté ou la réclamation formulée. C’est donc le contrat en vigueur au moment du fait générateur qui s’applique, même si ce contrat a expiré ou été remplacé depuis. Ce mode de garantie est peu apprécié par les assureurs en raison de son déroulement très long (long tail).
Pendant longtemps la branche a été désignée par l’acronyme « E&O » pour « Errors and Omissions » et concentrait ses effets sur les erreurs matérielles que pouvait commettre l’intermédiaire dans la mise en place des garanties pour ses clients. Erreur dans la description du bien à assurer, oubli d’émission ou de renouvellement d’un contrat etc…
L’évolution des textes, notamment la DDA, a progressivement imposé à l’intermédiaire d’assurance des obligations spécifiques et renforcées. Ce mouvement a été amplifié par l’évolution des attentes des consommateurs et par l’exigence des juges.
C’est désormais le devoir de conseil (duty of care) de l’intermédiaire qui est en première ligne dans les mises en cause et les contentieux. En raison notamment du renversement de la charge de la preuve opérés par les tribunaux, il lui appartient de démontrer qu’il a correctement rempli son devoir de conseil envers son client.
Les motifs de mise en cause sont variés : perte de chance, absence de mise en garde sur des clauses essentielles, manquements reprochés au devoir de suivi de l’intermédiaire ou encore défaut d’adaptation du contrat aux besoins du client.
Pour se défendre efficacement, l’intermédiaire doit pouvoir démontrer, grâce à une traçabilité rigoureuse, la réalité et la qualité du conseil fourni.
La plupart du temps cette traçabilité devrait prendre la forme d’une fiche conseil (demands and needs), rassemblant les demandes et besoins du client et les préconisations de l’intermédiaire. Un des facteurs d’amélioration du risque consiste d’ailleurs en la formation régulière des intermédiaires aux bonnes pratiques de la distribution et de la formalisation du conseil.
En 2020, dès les premières mesures de confinement et de fermetures de commerces, la question s’est posée de savoir si les contrats d’assurance notamment « pertes d’exploitation » pourraient venir compenser les dommages causés à l’économie. Par voie de conséquence, au cas où les assureurs refuseraient leur garantie, il était craint que les reproches se portent sur les distributeurs des contrats d’assurance concernés au titre du manquement de leur devoir de conseil. Dans ces circonstances, certains marchés, (notamment le UK) ont vu littéralement disparaître l’offre d’assurance RC Pro des intermédiaires entre 2020 et 2022 (à l’exception de CGPA Europe).
Les jugements rendus et les règlements des contentieux ont prouvé que les intermédiaires n’avaient, dans leur très grande majorité, rien à se reprocher, pour les conseils prodigués sur les garanties pertes d’exploitation conclues avant la pandémie. Les contrats couvrant spécifiquement les pandémies étaient quasiment inexistants en Europe et n’auraient donc pu être conseillés. Par ailleurs, les problèmes rencontrés sur l’indemnisation des pertes d’exploitation se situaient davantage au niveau des libellés des contrats d’assurance, dont un nombre important fut finalement mobilisé pour des hypothèses que les assureurs n’avaient manifestement pas toujours prévues.
Quels enjeux pour l’avenir ?
Trois facteurs d’évolution doivent être signalés : la consolidation de la distribution, la digitalisation et l’intelligence artificielle.
Le secteur du courtage connaît depuis quelques années un phénomène de concentration qui donne lieu à l’émergence de grands groupes, plus structurés. Théoriquement, ces grands courtiers bénéficient de processus internes et de contrôles qualité plus robustes. C’est un facteur d’amélioration du risque, pour autant que les phases d’intégration soient bien menées.
La digitalisation : l’intermédiaire d’assurance est désormais un gardien de données plus ou moins confidentielles, auxquelles il doit apporter le soin exigé par la règlementation (RGPD) dans leur utilisation mais également dans leur conservation. L’exposition au risque cyber est donc aujourd’hui une réalité dont il doit se protéger et protéger ses clients, au risque de voir sa responsabilité engagée.
Mais c’est surtout l’essor fulgurant de l’intelligence artificielle (IA) qui capte aujourd’hui l’attention.
Lorsque l’on assure des professionnels du conseil, s’interroger sur l’impact de l’IA sur leurs métiers relève de l’évidence.
À ce stade, les opinions restent partagées :
En somme, assurer la RC Pro des intermédiaires, c’est contribuer à la sécurité et à la solidité de la chaîne de distribution de l’assurance. Cela en fait une tâche passionnante, marquée par la diversité des situations rencontrées et par le dynamisme constant d’un secteur qui s’adapte sans cesse aux nouveaux usages
[1] Pour les besoins de l’article on utilisera ici indifféremment distributeurs ou intermédiaires d’assurance.
[2] DIRECTIVE (UE) 2016/97 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 20 janvier 2016 sur la distribution d’assurances (dite DDA ou IDD) Articles 10 § 4 et 5
[3]1 564 610 € par sinistre et 2 315 610 € par an conformément au Règlement délégué 2024/896 de la Commission du 5 décembre 2023 (modifiant la directive DDA)
Les informations présentées dans cet article ont un but exclusivement informatif. Elles ne sauraient être considérées comme un avis juridique, réglementaire ou financier, ni comme une description exhaustive des produits ou services mentionnés.